Sénégal : Aucune révision annuelle de 6 mois des listes électorales depuis 7 ans, celle de 2023 ne sera pas aussi organisée, à moins que…

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La clé de voûte de tout processus électoral dans une démocratie repose sur l’existence d’une base de données permanente sur les citoyens ayant le droit de vote : le fichier électoral. Il contient des informations qui permettent d’identifier et de localiser l’électorat inscrit pour produire les listes électorales d’un scrutin.

Un fichier électoral est qualifié de fiable lorsque les opérations d’inscriptions, de modification et de radiation garantissent l’unicité de l’électeur. Il est qualifié de sincère lorsqu’un sous-groupe n’est pas sous-représenté ou surreprésenté en fonction de critères sociodémographiques, économiques ou politiques. Un fichier électoral fiable et sincère permet d’assurer le principe fondamental d’un processus électoral intègre : « un électeur, un vote libre, sans discrimination ». Par conséquent, la conception, l’implémentation et la révision d’un fichier électoral afin qu’il soit fiable et sincère, est un enjeu capital pour l’organisation d’élections libres, honnêtes et démocratiques.

Au Sénégal, les opérations d’inscription, de modification et de radiation du fichier électoral sont encadrées par les articles L28 à L52 du code électoral.

Du code électoral de 2012 à celui de 2018, la lecture combinée des articles L39 et R28 dispose qu’une révision annuelle des listes électorales doit être organisée du 1er février au 31 juillet d’une année non électorale. Cependant, la dernière révision annuelle des listes électorales remonte à 2015.  Une révision annuelle de 6 mois n’a pas été organisée en 2020, alors qu’elle aurait du l’être. Une violation de la loi électorale par le Ministère en charge des élections du Sénégal. Depuis lors, afin d’éviter d’être de nouveau dans l’illégalité, le Gouvernement du Sénégal, par un projet de loi voté par l’Assemblée Nationale en juillet 2021, a réécrit l’article 39 qui est devenu l’article 37 : « Les listes électorales sont permanentes. Elles font l'objet d'une révision annuelle initiée par l'administration. Sauf cas de force majeure, cette révision dite ordinaire se déroule dans les délais fixés par le présent code ».

Dans le même ordre d’idées, l’article R28, du Décret n°2021-1196 portant partie réglementaire du Code Électoral, a été aussi réécrit comme suit : « Une révision dite "ordinaire" a lieu sauf cas de force majeure ou de révision exceptionnelle en perspective, chaque année du 1er février au 31 juillet inclus ».  Désormais, ne pas organiser une révision annuelle des listes électorales peut être justifié par le cas de force majeure, mais aussi par une révision exceptionnelle en perspective.

L’objectif visé par cette réforme de juillet 2021 est de pouvoir organiser que des révisions exceptionnelles avant chaque élection générale. Une tendance qui était déjà constaté depuis la refonte du fichier en 2016, caractérisée par des périodes de révision exceptionnelle de plus en plus courtes. Ainsi, celle organisée pour l’élection présidentielle de 2019 a duré 2 mois (du 1er mars au 30 avril 2018), tandis celle des élections territoriales de janvier 2022, a été de 45 jours (31 juillet au 14 septembre 2021). Enfin, celle des législatives de 2022 a duré 15 jours (du 7 au 21 mars 2022). De 2020 à 2022, soit en 3 ans, 2 mois de révision exceptionnelle ont été décidées par le Président du Sénégal, au moment où 1 923 691 Sénégalais qui ont le droit de vote, ne sont pas encore inscrits sur les listes électorales.

Ainsi donc, il n’y a plus au Sénégal depuis 2015, de longues périodes de mise à jour des listes électorales, d’au moins 6 mois, qui puissent rapprocher les listes électorales de la réalité démographique. Mais pire encore, la révision annuelle des listes électorales n’est plus garantie par la loi électorale depuis le vote de la loi électorale de juillet 2021. Dorénavant, sur le fondement des nouvelles dispositions, l’administration peut n’organiser que des révisions exceptionnelles, qui sont instituées et encadrées par un décret du Président de la République du Sénégal. Dès lors, les périodes de révision des listes électorales au Sénégal sont sous le contrôle exclusif d’une seule personne, le Président du Sénégal, un homme politique partisan, président d’une coalition politique.

Il est à rappeler, que depuis la refonte partielle du fichier électoral de 2016, sur la base de motifs non fondés en falsifiant les conclusions du rapport de la mission d’audit du fichier électoral de 2010 (pages 7, 8, 9), la coalition politique au pouvoir tente de créer un corps électoral sur mesure en inscrivant en priorité sur les listes électorales, les Sénégalais identifiés favorables à leur camp politique. Cette stratégie électorale axée principalement sur le suffrage censitaire a été portée à la connaissance de l’opinion publique nationale par l’ancien ministre de l’intérieur en 2018: « J'ai la ferme intention de travailler pour que le Président Macky Sall gagne au 1er tour de l'élection présidentielle du 24 février 2019. Pour cela, d'abord je ferai inscrire tous ceux qui veulent voter pour Macky Sall. Je m'emploierai pour qu'ils récupèrent leurs cartes d'électeurs et je les aiderai à aller voter pour Macky Sall ». La mise en œuvre de cette stratégie électorale a été d’une redoutable efficacité à la dernière élection présidentielle de 2019. En effet, pour être Président du Sénégal élu au 1er tour, le candidat de la coalition politique au pouvoir a obtenu 2 555 426 voix sur un nombre d’inscrits de 6 683 043, soit 38,23% de l’électorat inscrit. Il est à noter que 2 254 363 électeurs n’ont pas voté à ce scrutin.

En outre, l’électorat potentiel du Sénégal en 2019 est de 8 413 851 (rapport de février 2020 sur la population du Sénégal en 2019 de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie). Par conséquent, de potentiels électeurs au nombre de 1 730 808 n’ont pas participé à l’élection présidentielle de 2019. Parmi ces derniers, il y a 1 104 157 jeunes âgés de 18-25 ans (Voir Rapport 2021 Mission d'audit du fichier électoral du Sénégal, page 111). Au total, un électorat de 3 985 171 Sénégalais n’ont pas participé à ce scrutin. Cette stratégie électorale qui détourne la réalité démocratique, fondée sur la sélection des électeurs, sera vraisemblablement reconduite pour tenter de gagner l’élection présidentielle de 2024.

A la lumière de ce qui précède, sans aucun risque de se tromper, on peut affirmer, que l’administration n’organisera pas une révision annuelle des listes électorales en 2023, du 1er février au 31 juillet, soit de 6 mois  (Décret n°2021-1196, Article R28, Alinéa 1, Page 11). D’abord, il n’y a aucune définition de « cas de force majeure » dans le code électoral pour clarifier l’article L37 (Page 13). Aussi toute situation pourrait être invoquée par l’administration, comme cas de force majeure. Ensuite, la prochaine élection présidentielle, étant prévue en février 2024, l’administration pourrait en déduire qu’une révision exceptionnelle est en perspective et sur le fondement de l’article R28, du Décret n°2021-1196 décider de ne pas organiser la révision annuelle.

Cette capture des listes électorales, outils par lesquels les Sénégalais expriment leur souveraineté, ne saurait exister dans une démocratie électorale. Aussi, cette éventuelle non organisation d’une révision annuelle des listes électorales d’une durée de 6 mois, première étape du processus électoral de l’élection présidentielle de 2024, doit être prise en charge dès à présent par l’Assemblée Nationale. Aussi, des députés doivent s’atteler sans délai à l’élaboration d’une proposition de loi modifiant le chapitre 2 du code électoral sur les listes électorales, en vue d'enrayer cette probabilité, au plus tard au début de l’année 2023. Des lois visant à simplifier et d'assouplir le processus d’inscription sur les listes électorales, à faciliter leur gestion, et à les actualiser en temps réel, doivent être votées. Dans ce nouveau dispositif sur les listes électorales à constituer, l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie sera chargé de gérer le fichier électoral. Un vaste chantier qui ne peut être abordé dans les quelques mois qui nous séparent de la présidentielle de 2024, par conséquent, le focus sera mis sur des modifications prioritaires relatives à la révision et à l’accès aux listes électorales.

A cet effet, il faut impérativement une modification de l’article 37 afin de mettre un terme à la limitation des dépôts d'inscription fixée par des périodes de révisions des listes électorales aussi bien annuelles qu’exceptionnelles. L’objectif est de permettre à tout Sénégalais, électeur potentiel, de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales à tout instant, notamment, aux 1 923 691 non-inscrits, mais aussi les mal-inscrits exclus des législatives de 2022. En vue d’atteindre cet objectif, de nouvelles dispositions devraient être introduites et d’autres modifiées.

Premièrement, il faut réintroduire l’obligation de s’inscrire sur les listes électorales conformément à l’article L7 du code électoral du Sénégal de 1976 : « L'inscription sur les listes électorales est obligatoire ». Deuxièmement, l’article 37 est à réécrire comme suit : « Les listes électorales sont permanentes et publiques. Les demandes d'inscription sur les listes électorales, en vue de participer à un scrutin, sont déposées au plus tard 8 semaines précédant ce scrutin. Le scrutin est fait sur la base de la liste électorale révisée de l'année en cours ».

Il est à noter qu’il n’existe pas dans le code électoral, une disposition qui indique explicitement la ou les modalités de formulation des demandes d’inscription sur les listes électorales. Elle est plutôt implicite par la présence physique du citoyen dans les commissions administratives. Elle n'est plus très adaptée en raisons, de la mobilité des citoyens, ensuite, de leur forte concentration en milieu urbain, mais surtout de la numérisation de plus en plus importante de la vie de la population, notamment, les jeunes qui sont les plus affectés par la non-inscription. Aussi, la télé procédure doit être l’une des possibilités pour s'inscrire sur les listes électorales. Il s’avère ainsi nécessaire d’introduire une nouvelle disposition dans ce sens :  « Les demandes d'inscription, accompagnées des pièces de nature à prouver que le demandeur remplit les conditions d’inscription fixées aux articles L28, L29, L30, L31, L32, sont déposées auprès des commissions administratives des communes soit au moyen d'une télé procédure dans les conditions agréées par le Ministère chargé des élections au plus tard à minuit le dernier vendredi de la date limite, soit personnellement aux heures ouvrées. Elles peuvent également être envoyées par courriel, au moyen du formulaire agréé prévu à cet effet ». Les modalités de dépôt des demandes d'inscription sont ainsi élargies et celles déposées sont désormais reçues et instruites tout au long de l'année. En outre, la date limite d'inscription pour un scrutin donné est fixée dans le cas général à 8 semaines précédant un scrutin. Ce délai est destiné à permettre l'instruction d'éventuels recours sur la décision d'inscription.

Troisièmement, l’alinéa 1 de l’article L38, devrait être modifié conformément à l’article L16 du code électoral de 1976 : « La commission administrative doit faire figurer sur la liste les prénoms, nom, date et lieu de naissance, filiation, domicile ou résidence des électeurs ». Ainsi toute information, qui permet de profiler les électeurs suivant la profession et le handicap, est supprimée des listes électorales.

Quatrièmement, plusieurs dispositions sont à introduire sur l’accès des électeurs et des partis politiques aux listes électorales. Le fichier électoral est modifiable à tout instant par ses administrateurs et toute modification à l’insu de l’électeur lui fera perdre son droit de vote. Par conséquent, pour s’assurer de pouvoir voter à un scrutin il est capital de vérifier son inscription. Cependant, il n’y a aucune disposition dans le code électoral qui donne à tout électeur le droit d’accès aux données le concernant dans le fichier électoral. Certes, il y a un lien pour la consultation en ligne du fichier électoral mais sa création n’est pas fondée sur une disposition du code électoral. D’ailleurs, la direction générale des élections ne communique jamais sur son existence afin d’inciter les électeurs à vérifier leur inscription. Il est à remarquer aussi, qu’un droit d’accès aux listes électorales n’est pas aussi accordé aux partis politiques.

Enfin, l’article L48 stipule que tout électeur peut en prendre communication et copie à ses frais. Cependant, le décret n°2021-1196 ne donne pas d’indication sur le mode de calcul du montant à payer. Sa détermination pourrait s’avérer fastidieux, aussi, il est plus judicieux de communiquer à tout électeur une copie électronique des listes électorales. Au regard de ce qui précède, l’article L48 est à réécrire comme suit : « Tout électeur peut prendre communication et obtenir copie électronique de la liste électorale modifiée de la commune à la mairie ou des listes électorales des communes du département à la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial.

Tout candidat et tout parti ou coalition politique peuvent prendre communication et obtenir copie électronique de l'ensemble des listes électorales modifiées des communes du département auprès de la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial.

Tout électeur a un accès en ligne au fichier électoral pour les données qui le concernent.

Les candidats ou leurs représentants peuvent prendre communication et copie électronique des listes électorales des Sénégalais de l’Extérieur au ministère des affaires étrangères. Il en est de même de tout parti ou coalition politique représenté par un mandataire dûment habilité. La condition est de s'engager à ne pas en faire un usage commercial.

Tout électeur peut prendre communication et copie électronique de la liste électorale du département sur lequel il est inscrit au consulat du Sénégal, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial ou de nature à porter atteinte à la sécurité ou à leur sûreté ».

En vertu de ce nouvel article L48, le ministère en charge des élections déploiera un télé service à l’attention de tous les électeurs pour vérifier la conformité des informations entre la carte d’électeur et celles sur le fichier électoral, à partir de tout support numérique connecté à internet (ordinateur, tablette, smartphone). Il permettra à tout électeur de vérifier sa commune d’inscription, son lieu et bureau de vote. Si la vérification n’aboutit pas, l’électeur pourra accéder au service en ligne permettant de déposer une demande d’inscription ou bien entamer une nouvelle vérification. Enfin, les partis politiques ont désormais accès, à tout instant, aux listes électorales modifiées.

Les réformes ci-dessus de la gestion des listes électorales participent à sa modernisation et leur implémentation contribuera rendre sincère le fichier électoral. Dans ce sens, l’écriture des articles du code électoral doivent être suffisamment explicites pour éviter une possibilité d’interprétation élastique car il ne faut pas compter sur un décret d’application d’un président du Sénégal, homme politique partisan, pour les clarifier. En matière de gouvernance démocratique, en tant que président d’une coalition politique, il a toujours pris des décisions qui favorisent ses intérêts électoraux et politiques. Par conséquent, le travail parlementaire de rédaction de propositions de loi non équivoques, pour un processus électoral transparent est une priorité absolue.

Dès lors, une mobilisation des députés est nécessaire pour, d’une part, identifier les causes de l’abstention de 3 757 356 électeurs des législatives de 2022, et d’autre part, modifier le code électoral pour permettre l’inscription sur les listes électorales de 1 923 691 citoyens Sénégalais. Enfin, il est primordial que les députés travaillent aussi à faciliter l’accès des électeurs et partis politiques aux listes électorales. Ce travail parlementaire primordial doit commencer dès à présent pour des résultats dans 6 mois au plus tard, soit avril 2023.

Garantir l’exercice du droit de vote à tous les citoyens Sénégalais, en leur donnant l’opportunité d’exprimer leur volonté par un vote libre, honnête et démocratique à la présidentielle de 2024 est le meilleur rempart pour préserver la paix au Sénégal. Aux députés de s’y atteler sans délai par des missions d’information et des propositions de loi.

Fait à Dakar, le 13/ 11 / 2022
Ndiaga Gueye

Doctorant en Sciences de l'Information et de la Communication
Chercheur en marketing politique à l'ère du big data
Laboratoire: LARSIC,

École Doctorale: ED-ETHOS
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Sénégal

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