Le laboratoire de stratégie électorale du Président de la coalition politique au pouvoir, par ailleurs, Président de la république du Sénégal, s’attelle depuis 2014, à l’élaboration et l’implémentation d’un processus électoral qui puisse garantir sa victoire électorale. Des élections sont, ainsi, organisées dans des conditions telles que des critères essentiels qui permettent de qualifier un scrutin de libre, honnête et transparent sont remis en cause : le droit de vote, le secret du vote, la liberté de vote, l’absence de contraintes financières, de corruption, et de discrimination. Et depuis, la présidentielle de 2019, n’est plus aussi garanti le droit d’être candidat à une élection. Cette stratégie électorale axée principalement sur la création d’un corps électoral sur mesure a été portée à la connaissance de l’opinion publique nationale par l’ancien ministre de l’intérieur en 2018: « J'ai la ferme intention de travailler pour que le Président Macky Sall gagne au 1er tour de l'élection présidentielle du 24 février 2019. Pour cela, d'abord je ferai inscrire tous ceux qui veulent voter pour Macky Sall. Je m'emploierai pour qu'ils récupèrent leurs cartes d'électeurs et je les aiderai à aller voter pour Macky Sall ». Sa mise en œuvre prive à des millions d’électeurs la jouissance du droit de vote et permet à une minorité d’élire les élus. Ainsi, il n’y a plus depuis 2014 au Sénégal, d’élections au suffrage universel mais plutôt au suffrage censitaire. Désormais, les candidats et les électeurs qui peuvent participer aux scrutins sont sélectionnés par la coalition au pouvoir, excluant ainsi des millions d’électeurs des scrutins. Des élections libres et honnêtes qui reflètent la libre expression de la volonté de la majorité de la population ne s’organisent plus dans ce pays. Aux élections départementales et municipales du 29 Juin 2014, 3 127 000 électeurs n'ont pas participé au scrutin, au référendum du dimanche 20 mars 2016, un nombre de 3 506 520 électeurs n’ont pas votés, pour les législatives du 30 juillet 2017, ce sont 2 881 952 électeurs, tandis que pour l’élection présidentielle du 24 février 2019, ce sont 2 254 363 électeurs qui ont été privés de vote. L’analyse des suffrages obtenus par la coalition au pouvoir, à ces différents scrutins, confirme, ainsi, que c’est une minorité d’électeurs qui élit les élus. Au référendum de 2016, il y a eu 1 367 592 votes pour le OUI avec un nombre d’inscrits de 5 709 582 électeurs, soit 23,9% de l’électorat, pour contrôler l’Assemblée Nationale du Sénégal, la coalition au pouvoir a obtenu lors des élections législatives du 30 juillet 2017, un nombre de suffrages s’élevant à 1 637 761 sur 6 219 446 électeurs, soit 26,3 de l’électorat. Enfin, pour être Président du Sénégal, élu au 1er tour à l’élection du 24 Février 2019, le candidat de la coalition au pouvoir a obtenu 2 555 426 voix sur un nombre d’inscrits de 6 683 043, soit 38,23% de l’électorat. Ainsi donc, à l’issue des élections législatives de 2017, avec 1 637 761 suffrages, soit 26,3 de l’électorat, la coalition au pouvoir a obtenu la majorité absolue à l’assemblée nationale. Elle a ainsi eu le pouvoir d’orienter dans le sens de ses intérêts pendant 5 ans la vie économique et sociale de 17 millions de sénégalais. Si, on n’y prend pas garde, le même scenario risque de se reproduire aux élections législatives du 31 juillet 2022. Aussi, il est fondamental de faire une mobilisation citoyenne et politique pour tenir en échec la réussite de la stratégie de suffrage censitaire de la coalition politique au pouvoir. Aux scrutins de 2014, 2016 et 2017, la mise en œuvre du suffrage censitaire se faisait par une désorganisation volontaire du scrutin dans les circonscriptions qui n’étaient pas favorables à la coalition au pouvoir. Cependant, depuis la présidentielle de 2019, son implémentation a été perfectionnée techniquement en s’appuyant sur le parrainage pour exclure du vote des millions d’électeurs. Certes, des étapes ont été déjà réalisées, telles que l’inscription, la distribution et le retrait des cartes d’électeurs, et l’élimination arbitraire de listes de candidature (nous y reviendrons au moment de l’évaluation du scrutin). Néanmoins, il reste encore des leviers de manipulation à réaliser qu’il faut faire échouer. A cet effet, les points de vigilance suivants doivent faire l’objet d’une attention exceptionnelle : Carte électorale non publiée : Un des leviers les plus efficace pour priver de vote des millions d’électeurs est la modification de la carte électorale à l’insu des électeurs. A la présidentielle de 2019 et aux locales de 2022, cela avait été fait. Aussi, il y a le risque que ça se reproduise de nouveau. Il est crucial de remarquer que le tableau de répartition des électeurs, des lieux et bureau de vote par région, département et commune pour les législatives du 31 juillet 2022 n'est pas encore publié conformément aux dispositions des l’article L66 du code électoral « La liste des bureaux de vote sur l’ensemble du territoire national est définitivement arrêtée et publiée trente jours avant le scrutin par le Ministre chargé des élections sous la supervision et le contrôle de la C.E.N.A. Elle est notifiée aux candidats et listes de candidats. Elle ne peut faire l’objet d’aucune modification. » Ainsi donc, la nouvelle carte électorale définitive devait être rendue publique depuis au moins le 1er juillet 2022. A cause de ce manquement du Ministre chargé des élections, il y a une opacité sur la carte électorale et le nombre d’électeurs devant participer à ces élections n’est pas encore connu, encore moins leur répartition. Il est aussi à noter que les listes de candidats, qui ont certainement été notifiées de la nouvelle carte électorale, doivent s’assurer qu’elles ont bien reçu une liste définitive et non provisoire. Pour rappel, aux dernières élections locales, le Ministère avait publié une carte électorale provisoire, donc modifiable à tout instant. Une violation de l’article L66 du code électoral de juillet 2021 par le Ministère chargée des élections du Sénégal. Vérification inscription, lieu et bureau de vote : Il est crucial de savoir et comprendre qu’avoir sa carte d’électeur ne garantit pas la participation au scrutin. Les informations électorales étant inscrites au verso de la carte d’identité CEDEAO, toute modification de la carte électorale par la délocalisation, la création de bureaux de vote, les mouvements d’électeurs, les radiations, etc entraîne des différences entre ces dernières et les listes électorales. L’électeur est ainsi privé de vote pour les élections législatives du 31 juillet 2022. Donc, il faut sensibiliser, inciter, pousser les électeurs à vérifier la conformité des informations électorales entre la carte d’identité CEDEAO et le fichier électoral. A cet effet, les électeurs, la presse, la société civile et les candidats doivent communiquer le maximum possible sur la nécessité de le faire sur le site web à l’adresse : https://elections.sec.gouv.sn/ Authentification de l’électeur non fiable : Bien que la carte d’identité CEDEAO soit biométrique, l'authentification de l’électeur ne se fait pas par la biométrie. A l’entrée du bureau de vote, elle se fait au visu, en comparant la photo sur la carte CEDEAO et le visage de l’électeur. Une technique d’authentification qui ne garantit pas que l’électeur est bien la personne qu’elle prétend être. En outre, la vérification de l’encre indélébile avant le vote, n’est pas systématique dans tous les bureaux de vote, bien qu’obligatoire (article R69 du code électoral). Enfin, étant toujours en période de COVID-19, l’électeur peut bien porter un masque. Par conséquent, n’importe qui peut voter avec la carte d’électeur d’autrui. Par conséquent, pour éviter toute tentative de fraude électorale, il est nécessaire d’abord, de procéder à une authentification minutieuse de tout électeur à l’entrée du bureau de vote, avec une attention particulière sur les photos floues, et ensuite vérifier obligatoirement l’encre indélébile, tout en se focalisant sur ceux qui ont les mains avec un bandage. Vote hors bureau originel : Les électeurs handicapés, moteurs ou temporaires, bénéficient du vote hors bureau originel depuis le vote du code électoral de juillet 2021. L’article 69, alinéa 6 dispose « les électeurs qui ont un handicap temporaire ou permanent ne leur permettant pas d’accéder à leur bureau de vote sont autorisés à voter dans le bureau le plus accessible pour eux dans le lieu de vote ou ils sont régulièrement inscrits. Ils votent en priorité.» Tandis que l’article 80 énonce que « Si un électeur souffre d'un handicap rendant difficile l’accès à son bureau de vote, il peut choisir n'importe lequel des bureaux du lieu de vote pour s'acquitter de son droit de vote. Il accède en priorité au vote dans le bureau. » Il est important de noter que la notion de personnes handicapées temporaires a été introduite dans le code électoral de juillet 2021. Cependant, elle n’a pas été définie, par conséquent, l’interprétation peut en être très large, si bien que, tout électeur peut se déclarer handicapé temporaire. En outre, Il est à rappeler que le vote hors bureau originel a toujours été à l’origine de suspicions de fraudes électorales et de contestations d’élections. En effet, lors des législatives de 2017, le vote par ordre de mission a été brandi par l’opposition pour contester les résultats de Dakar. A la présidentielle de 2019, la problématique du vote hors bureau originel a encore refait surface. Par conséquent, qu’il soit élargi aux personnes handicapées, moteurs ou temporaires, devrait être une préoccupation pour les candidats aux prochaines élections législatives du 31 juillet. En effet, Il est possible pour tout handicapé moteur de voter dans son bureau originel et ensuite procéder à des votes multiples dans le même lieu de vote. En sus, tout électeur non handicapé, peut voter dans son bureau originel et ensuite par des subterfuges, se faire passer pour un handicapé temporaire et faire des votes multiples dans d’autres bureau de vote de son lieu de vote. Réussir de telles fraudes électorales, ne devrait pas être difficile car la vérification de l’encre indélébile n’est systématique bien qu’obligatoire ou alors il suffit juste de pouvoir s’en débarrasser. Ainsi donc, ce vote hors bureau originel des électeurs handicapés, moteurs ou temporaires, pourrait être une source potentielle de fraudes électorales massives par des votes multiples. Aussi, il serait plus prudent pour les candidats aux élections de surveiller ce vote de très prés. Son monitoring est absolument nécessaire. Opérations de dépouillement : Moment crucial de toute élection, se mobiliser pour une transparence maximale des opérations de dépouillement est fondamentale pour une prise en compte réelle du choix des électeurs. D’abord, il faut surtout éviter de faire le décompte dans l’obscurité. En cette période d’hivernage un délestage est vite arrivé surtout à l'intérieur du pays. Aussi, le recours à des projecteurs dans chaque bureau de vote au moment de la compilation des suffrages et dans chaque comité départemental de recensement des votes afin que la compilation des suffrages et la retranscription informatique des résultats soit sous la supervision constante des représentants des candidats, de la CENA et des observateurs. Ensuite, il est aussi important de recenser tous les bureaux de vote ou le nombre d’enveloppes trouvées dans l’urne est supérieur au nombre d’électeurs ayant émargés. A grande échelle dans un département, ce sont des cas avérés de fraudes électorales. Il faut se rappeler constamment, ne jamais oublier que les bulletins de vote ne sont pas archivés, donc aucune possibilité de recomptage en cas de contestation. En outre, les observations sur les procès-verbaux ne sont d’aucune utilité, car elles ne sont pas traitées au niveau départemental mais national. En effet, le comité national de recensement des votes, ainsi que les représentants des candidats, vu le temps imparti pour publier les résultats, n’ont ni le temps, ni les ressources humaines pour considérer et traiter les observations sur les procès-verbaux. Il est évident qu'ils n’ont pas la possibilité de reprendre un à un les procès-verbaux pour y relever les observations. Par exemple, pour l'élection présidentielle de 2019, il y avait quelque 15.397 procès-verbaux à traiter. Aussi, le combat pour la sincérité du scrutin doit être mené au niveau du bureau de vote afin que la réalité électorale ne soit pas détournée. Ne pas tomber dans le piège, faites vos observations pour pouvoir ensuite saisir le juge électoral. Relevé des électeurs n'ayant pas participé au vote : Ces élections législatives doivent être le point de départ pour préparer la présidentielle de 2024. Aussi, le maximum de données est à collecter pour les analyses d’évaluation du processus électoral. A cet effet, il est crucial de collecter toutes les listes d’émargement de tous les bureaux de vote sur le fondement de Art.L.261. « Les listes d’émargements sont tenues à la disposition de tout électeur qui en fera la demande dans un délai de huit jours ». Elles serviront à créer une base de données des électeurs ayant effectivement participé au scrutin. Cette dernière croisée au fichier électoral permet de créer la base de données de tous les électeurs qui n’ont voté. Dès lors, une investigation est à faire pour déterminer les motifs de leur absence du scrutin et générer ainsi des indicateurs de communication politique. Les élections ne se gagnent plus étant dans l’informel, le bricolage et une campagne électorale à l’aveuglette. Il faut la planification rigoureuse d’une stratégie de persuasion politique guidée par l’analyse scientifique des données. A cet effet, les données sur les scrutins passés sont fondamentales. A la lumière de ce qui précède, il y a l’urgente nécessité d’actions immédiates pour apporter des réponses citoyennes et politiques pour tenir en échec la mise en œuvre du suffrage censitaire de la coalition au pouvoir le 31 juillet 2022. A défaut, grande sera la désillusion au soir du scrutin et un désastre pour la démocratie dans ce pays. Fait à Dakar, le 24/ 07/ 2022 |